Peut-on parler d'une addiction au sucre ?
Pourquoi les produits sucrés nous attirent tant ? Pourquoi est-il si dur, pour certains, d’arrêter d’en consommer ? Peut-on le comparer à d’autres substances addictogènes comme la cocaïne ou l’alcool ? Jacqueline Kerjean, médecin addictologue à Lorient et vice-présidente d’Addictions France, nous fournit des éléments de réponse dans un contexte de débat à la fois passionné et contradictoire.
Pouvez-vous nous rappeler la définition de l’addiction ?
Les addictions sont des troubles caractérisés par une dépendance physiologique ou psychologique à une substance ou à une activité. Elles impliquent une perte de contrôle liée à une consommation ou une pratique abusive, malgré des conséquences négatives sur la santé, les relations sociales et la vie professionnelle. Les causes et les facteurs de risque des addictions sont complexes et résultent souvent d’une interaction entre plusieurs éléments, y compris les facteurs génétiques, environnementaux et psychologiques.
En quoi le sucre a-t-il un potentiel addictogène ?
Pour certaines personnes, la consommation de sucre peut répondre à une envie frénétique, un besoin immédiat. Le sucre active le circuit de la récompense, le réseau des stimuli agréables et du plaisir. Il est vital et essentiel chez les humains. La dopamine est activée au niveau du cerveau au moment de la consommation de sucre, tout comme lors d’un acte sexuel par exemple.
Le sucre utilise le même circuit de récompense et le pervertit, de la même façon que des produits psychoactifs (alcool, drogues, tabac). Après avoir consommé du sucre, on se sent mieux et on en redemande, c’est la réactivation. Puisque cette action est associée au plaisir, la motivation pour la reproduire est accrue. Le sucre peut soulager un mal-être momentanément, ce pourquoi on répète le geste et la consommation malgré les conséquences négatives comme le surpoids ou le diabète.
L’addiction au sucre existe-t-elle vraiment ?
L’équipe du neuropsychopharmacologue Serge Ahmed, chercheur au CNRS, s’est penchée sur ce phénomène et ses implications en étudiant le potentiel addictif du sucre sur un groupe de rats. Cette étude montre que, face à la cocaïne et à une boisson sucrée, les animaux choisissent le sucre. Ce phénomène d’attractivité très surprenant a conduit à penser que le sucre avait une composante addictive comparable à une drogue. D’autres études ont corroboré ces recherches un peu partout dans le monde, surtout en Australie. Mais à ce jour, y a eu très peu d’études sur les humains, d’où le débat. L’avancée de la science par l’entrée patient nous permettra de trancher.
Il y a aussi des arguments contre : le sucre en tant que poudre blanche ne serait pas responsable de dépendance, mais plutôt les aliments intégrant le sucre en tant que substance. Les produits sucrés, le sucre associé aux exhausteurs de goût, au monoglutamate et à certains corps gras, seraient addictifs.
Comment expliquer le manque du produit ?
Le manque est d’autant plus fort lorsque la personne a faim ou vit un moment de vulnérabilité. La gestion émotionnelle peut alors être construite autour d’aliments sucrées. Consommer des produits sucrés peut calmer momentanément l’anxiété. Sucre = refuge émotionnel. Ce processus ressemble à l’addiction. Certaines personnes subissent des tremblements, des sueurs, des acouphènes, des vertiges ou de l’irritabilité lorsqu’elles arrêtent ou diminuent leur consommation. Cet état de santé s’apparente à un sevrage de drogue et aux symptômes de craving. Anna Roy en livre un témoignage frappant dans son livre Énorme.
Quels conseils apporter aux personnes qui se sentent concernées ?
Ces personnes ont une fragilité dont il ne faut pas avoir honte. Parfois, ce besoin de sucre peut être relié à un trauma grave. On trouve là le nœud des addictions : la souffrance qui est apaisée par un produit, ici le sucre. Les personnes en souffrance centrent le plaisir sur le sucre. Par ailleurs, les augmentations de concentration de sucre dans les aliments industriels, y compris salés, favorise un besoin supérieur de plaisir lié au sucre qui fait que, à mon sens que, il peut peut être apparenté à un produit addictif.
Existe-t-il une prise en charge spécifique ?
La première étape serait d’aller voir son médecin traitant pour faire un bilan sanguin, puis d’être bien accompagné par un psychologue pour rebâtir l’estime de soi.
En centre d’addictologie, la prise en charge est la même dans une démarche de sevrage et d’éviction du produit. Le débat est ouvert sur les « addicts au sucre », donc accueillons les patients comme tels puisque la finalité et les moyens sont les mêmes. La différence avec le cannabis ou la cocaïne, c’est que ce produit est en vente libre et illimité. Et, comme l’alcool, il peut avoir un côté festif (anniversaire, repas de famille…). Il faut apprendre à savoir dire non.
Le 11 mars 2025, Jacqueline Kerjean ( à droite sur la photo ) a été invitée à participer à l’émission « Grand bien vous fasse » de France Inter pour intervenir sur le sujet et partager son expertise.
