Le plus choquant est sans conteste la manière dont le président avale le contenu d’une bouteille de bière d’un seul coup. Il ne s’agit évidemment pas d’une dégustation d’un grand cru ou d’une bière artisanale que le lobby de l’alcool se plait à promouvoir pour légitimer les consommations. Boire cul-sec une bière industrielle, c’est rechercher l’alcoolisation rapide, et non l’appréciation de saveur raffinée, ni même un rafraichissement. Boire cul-sec, c’est la porte d’entrée du binge drinking (biture expresse) pour la plupart des jeunes. En 2018, le Président dénonçait les jeunes qui « se saoulent à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière »[1]. Bien entendu, nul ne pense que le président Macron s’adonne au binge drinking. Il fait une opération très calculée de communication qui consiste à se réapproprier les codes d’un sport populaire, le rugby, et en particulier cette trop fameuse 3ème mi-temps qui consiste à s’enivrer après le match dès le retour au vestiaire. Un président de la République ne devrait pas banaliser, voire légitimer de telles pratiques.

Si le sport fait bon ménage avec la politique, pour le meilleur et pour le pire, l’alcool n’est pas favorable aux sportifs, ni pour leurs performances, ni pour leur récupération après l’effort[2]. L’alcool n’est pas plus favorable aux supporteurs, l’Histoire le démontre amplement, car l’alcool favorise les débordements (ivresses publiques en groupe, comportements incontrôlés, violences) avant, pendant et après les matchs. Avec l’alcool, la fête est loin d’être toujours belle. Mais les politiques instrumentalisent jusqu’à la corde le pouvoir fédérateur du sport, y compris en affichant par démagogie des comportements qui ne sont bons ni pour la santé ni pour l’ordre public.

Mais Emmanuel Macron, en fidèle porte-parole du lobby alcoolier, n’oublie certainement pas la demande récurrente de ce secteur économique de remettre en cause ce qui reste de la loi Evin et qui interdit encore le sponsoring sportif et culturel, et prive ainsi en France les annonceurs, les médias et les gros clubs sportifs d’un soutien sonnant et trébuchant par les industriels de l’alcool. Le parti du président a essayé dans la torpeur de l’été 2019 d’en finir avec la loi Evin. Cette manœuvre d’alcoolisation du sport avait échoué, notamment grâce à la mobilisation d’Addictions France[3]. Elle avait aussi échoué car les médias avaient immédiatement dénoncé cette manœuvre qui aurait eu pour effet de faire davantage consommer les jeunes qui regardent les épreuves sportives. Mais les intérêts financiers sont tels que le lobby alcoolier n’a certainement pas oublié son objectif d’alcooliser le sport. Le comportement du président Macron, pour anecdotique qu’il puisse paraitre, n’en représente pas moins un soutien à une stratégie de dérégulation qui aura pour victime la santé publique.

On remarque également que la boisson, « sifflée d’une traite » est une bière industrielle du groupe international Anheuser-Busch InBev, le partenaire officiel du Mundial de foot, et non pas une bière française au moment où les brasseries artisanales se disent au bord du gouffre[4] et à l’heure de la réindustrialisation. A croire que dans la tête d’Emmanuel Macron, quand les enjeux sont importants, il vaut mieux soutenir des acteurs industriels qui pèsent.

Enfin, on peut remarquer avec cette bière bue cul-sec, cette affirmation de virilité dans une ambiance de gros muscles des vestiaires et de compétition à « tenir l’alcool ». « Bois, si tu es un homme ! », tel est le défi que le président a relevé en sifflant « d’une traite« , une bouteille de bière « avant de claquer fièrement la bouteille sur une table tel un étudiant d’école de commerce en furie » selon les mots du journaliste de Libération[5] .

Association au contestable « rite » du rugby de la 3ème mi-temps, banalisation de l’alcoolisation rapide, soutien au lobby alcoolier, affirmation de la virilité, la séquence d’après match dans les vestiaires du stade toulousain restera dans les mémoires. Il n’est pas sûr qu’elle bénéficiera au président Macron, mais il est en revanche certain qu’elle n’aide pas les acteurs de santé dans leur mission de prévention.

 


[1] https://www.sudouest.fr/vin/je-bois-du-vin-midi-et-soir-macron-oppose-a-tout-durcissement-de-la-loi-evin-3159670.php

[2] https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2022/09/Decryptages-N-15-Sport-et-alcool-2022.pdf

[3] https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2023/02/Decryptages-N-38-Alcooliser-le-sport-Disponible-a-la-commande.pdf

[4] https://www.snbi-france.fr/lettre-au-gouvernement-les-brasseries-artisanales-au-bord-du-gouffre/

[5] https://www.liberation.fr/politique/la-soiree-rocambolesque-demmanuel-macron-a-la-finale-du-top-14-bronca-passeport-et-corona-20230618_26V5LZ7T2VHDXN5L52IMTW2J2I/

 

 

 

 

Bernard Basset
Médecin spécialiste en santé publique
Président d’Addictions France