L’annonce de la composition du Gouvernement de François Bayrou a immédiatement suscité l’inquiétude des acteurs de l’addictologie, et de la santé plus largement. Alors que le ministère de l’Intérieur reste à la main de Bruno Retailleau qui fait des consommateurs de drogues les premiers responsables des violences liées au narcotrafic, celui de la Justice est confié à son prédécesseur, Gérald Darmanin, qui, reprenant la même rhétorique guerrière, entend faire de la lutte contre le trafic de drogue « sa priorité absolue ».

En complément de cette vision répressive et anti-réduction des risques, un nouveau ministre de la Santé est nommé qui, lui, semble ignorer les dommages sanitaires et sociaux de la consommation d’alcool. Alors député, Yannick Neuder s’est en effet signalé lors des débats sur le PLFSS par un soutien sans faille au lobby viticole. Au mépris des évidences, il a déclaré qu’on ne se saoulait pas avec du vin (surtout ceux en provenance du Bordelais et des Côtes du Rhône). Or nous le savons que trop bien, les ivresses sont la conséquence de la consommation de tous les alcools disponibles, vin y compris. Au nom de cette affirmation probablement sciemment erronée, Yannick Neuder a refusé une augmentation de 7 centimes par bouteille de vin ainsi que toutes les autres mesures fiscales visant les alcools.

 

Le député Yannick Neuder à l’Assemblée nationale, le 4 novembre 2024

Ce cardiologue de formation devrait pourtant savoir ce que tout médecin apprend : l’alcool, tous les alcools, favorisent les troubles du rythme (fibrillation auriculaire), l’atteinte du muscle cardiaque (cardiomyopathie), l’hypertension artérielle et les AVC. La consommation de vin qui représente plus de la moitié des consommations d’alcool est logiquement à l’origine de plus de la moitié des 41 000 morts qui en résultent. La prévention des risques liés à l’alcool devrait être une priorité d’un ministre de la Santé.

Par ailleurs, Yannick Neuder a déclaré qu’il entendait protéger la jeunesse en sévissant contre les mineurs qui se procurent de l’alcool avec de faux papiers. Cette assertion est en décalage total avec la réalité, car lors de ses opérations de testing, Addictions France a montré clairement que les débitants d’alcool vendent de l’alcool à des mineurs dans plus de 90% des cas, et qu’ils ne demandent que rarement les papiers d’identité. Et lorsqu’un mineur présente sa carte d’identité avec son âge réel, on lui vend quand même de l’alcool. Ce n’est donc pas un problème de faux papiers, mais de non-respect de la loi par les commerçants.

Dans sa croisade contre la prévention du risque alcool, Yannick Neuder ne sera pas seul au gouvernement. Il pourra compter sur l’appui de sa ministre de tutelle, Catherine Vautrin, élue de Champagne, qui déclarait qu’on pouvait boire du champagne à toute heure[1], et qui au nom de la défense des territoires, devrait soutenir l’économie viticole. Elle sera aussi confortée par Nathalie Delattre qui, alors qu’elle était ministre des Relations avec le Parlement dans le gouvernement Barnier, a déclaré lors de la réunion annuelle de l’association des élus de la vigne et du vin (ANEV) qu’elle était avant tout une lobbyiste du vin[2]. Une ministre qui assume totalement défendre les intérêts privés (en particulier les siens car elle est viticultrice) contre l’intérêt général et la santé publique n’est certainement pas de bon augure. Elle sera sans doute autant la ministre de l’œnotourisme que celle du tourisme en général.

Ces soutiens sans faille des intérêts alcooliers pensent que s’attaquer à la santé suffira à soutenir un secteur en crise. Mais cette crise est avant tout la conséquence d’erreurs stratégiques (harmonisation des goûts des vis de Bordeaux pour plaire à l’export, négation des conséquences pour la santé, épandage de pesticides…). On peut craindre qu’une nouvelle fois, ces beaux esprits, inspirés par les effluves du vin, ne tentent encore d’en finir une fois pour toutes avec la loi Evin, sous prétexte, comme d’habitude de « l’assouplir, la clarifier » et autres éléments de langage destinés à endormir l’opinion.

Devant la soumission des gouvernement successifs au lobby de l’alcool, et celui-là n’y dérogera pas, il est d’autant plus important de soutenir les initiatives de prévention de la société civile. Le Défi de janvier, cette campagne de mobilisation qui consiste à faire une pause dans sa consommation d’alcool pour en éprouver les bienfaits et évaluer la place de l’alcool dans sa vie sociale, doit cette année encore nous mobiliser tous pour que la prévention en santé ne soit pas sacrifiée sur l’autel des intérêts économiques, de la prétendue défense des terroirs et de l’aveuglement devant les conséquences de la consommation d’alcool pour notre société.

Le Défi de Janvier est un pied de nez ludique à tous les affairistes. Nous le relèverons encore une fois dans la bonne humeur et le souci de préserver notre santé.

 

————————————————————————————————————–

[1] https://www.lefigaro.fr/politique/la-ministre-de-la-sante-epinglee-pour-sa-promotion-du-champagne-20240116

[2] Voir la très bonne enquête de la cellule investigation de Radio France : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-14-decembre-2024-8438444

                                                               

 

Bernard Basset, président d’Addictions France