« Il est plus important de brosser un lobby dans le sens du poil que d’égratigner, très marginalement, ses privilèges fiscaux »

L’absence de courage politique tourne parfois au ridicule, mais le Gouvernement et la représentation nationale démontrent une fois de plus qu’il est plus important de brosser un lobby dans le sens du poil que d’égratigner, très marginalement, ses privilèges fiscaux.

Alors que l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) vient de publier un rapport sur leur coût social faramineux (102 milliards par an pour l’alcool), le Gouvernement s’apprête à renoncer à augmenter de 3 centimes la bouteille de vin (et de 1 euro les bouteilles de spiritueux).

En effet, outre la TVA, les boissons alcooliques se voient appliquer des droits d’accise dont le niveau varie fortement en fonction du degré d’alcool et, au-delà de 18 degrés, une cotisation additionnelle. Ce dispositif complexe de taxation des alcools n’a aucune justification autre que de favoriser le vin au détriment des autres boissons alcooliques.

Par ailleurs, ces taxes peuvent être augmentées en fonction de l’évolution des prix, mais avec un plafond de 1,75%, ce qui a pour effet dans le contexte d’inflation à 5% de dégager mécaniquement un bonus pour le secteur économique de l’alcool. Le gouvernement avait donc prévu de faire sauter ce plafond comme il l’a fait l’année passée pour le tabac.

 

« Tel le chœur de pleureuses, le lobby vini-viticole s’est mobilisé »

L’effet très marginal de cette mesure de bon sens a pourtant entrainé immédiatement une levée de boucliers. Tel le chœur de pleureuses, le lobby vini-viticole s’est mobilisé comme d’habitude via son lobby parlementaire des élus de leur groupe prétendument « d’études » de la « Vigne et du Vin », qui n’est qu’une simple courroie de transmission à l’Assemblée nationale des intérêts de la filière.

En juillet, 44 députés ont écrit au gouvernement pour protester à l’avance contre toute augmentation des taxes sur l’alcool qui, selon le refrain connu « pourrait mettre en péril la compétitivité de nos producteurs et nuire à la vitalité de nos régions viticoles déjà en crise pour quelques-unes d’entre elles ». Ils vont jusqu’à mobiliser le mildiou pour justifier leur démarche. Parmi ces valeureux députés prêts à faire barrage de leur corps contre une augmentation de 3 centimes par bouteille de vin, figurait un élu de Gironde, Thomas Cazenave, devenu entretemps Ministre des Comptes publics. [1]

 

« Ce qui importe pour la santé, c’est la quantité d’alcool ingérée et pas le type d’alcool »

Il faut cependant rappeler qu’une bonne partie des difficultés de la filière, en particulier dans le Bordelais, provient d’erreurs dans leur stratégie commerciale : arrosage à outrance des vignes avec des pesticides, uniformisation des goûts pour plaire à la clientèle internationale, industrialisation des processus de production en contradiction avec un produit vendu comme le fruit du labeur patient de l’artisan vigneron, arrogance face aux vins du Sud (Nouvelle Zélande, Chili, Afrique du Sud)…[2] Par ailleurs, la prise de conscience grandissante par le public des méfaits du vin sur la santé conduit à des renoncements pour la politique de santé, qui confinent à la censure (pas de soutien au Défi de Janvier/Dry January, annulations des campagnes de Santé publique France) de moins en moins acceptée par l’opinion publique.

Le Rassemblement national s’est évidemment mobilisé pour cette grande cause. Mais c’est aussi le cas du patron du Parti communiste, Fabien Roussel qui demande d’arrêter de « taper sur les classes populaires », oubliant au passage que les inégalités de santé, dont les classes populaires sont les principales victimes, sont principalement dues à l’alcool et au tabac. Il oublie également que les profits de la filière proviennent aussi de conditions de travail d’un autre temps dans le vignoble[3].

La santé publique aborde de manière transversale les conséquences de la consommation d’alcool dans la population, car, sur ce plan, il n’y a aucune différence entre le vin, la bière, le pastis, le whisky, etc… En effet, en la matière, ce qui importe pour la santé, c’est la quantité d’alcool ingérée et pas le type d’alcool. Il serait temps que la fiscalité des alcools s’aligne sur cette logique qui aurait le mérite de la transparence pour la population, plutôt que les méandres d’un fiscalité byzantine qui ne reflète que le degré d’influence des lobbies. Mais en France, toute mesure qui touche le vin relève du tabou.

Par ailleurs, nous savons que l’action sur les prix est un des leviers les plus efficaces pour lutter contre un niveau très élevé de consommation d’alcool dans notre pays qui se traduit par 110 morts par jour (41 000 par an), et qui contribue largement à l’encombrement des urgences hospitalières, aux violences envers les femmes et aux handicaps (évitables) à la naissance.

Les bonnes raisons d’augmenter les taxes sur les alcools ne manquent pas. Mais faute d’une ligne claire, aussi bien sur la fiscalité que pour la santé publique, le gouvernement et la représentation nationale s’apprêtent à brader tout courage politique pour 3 centimes.

 

Bernard Basset,

Médecin spécialiste en santé publique

Président d’Addictions France

 

 

 


[1] Taxe sur l’alcool, le gouvernement temporise. Les Echos, vendredi 4 et samedi 5 Aout 2023

[2] https://addictions-france.org/datafolder/uploads/2023/03/Decryptages-N-54-Les-cris-dorfraie-2023.pdf

[3] Ixchel Delaporte, Les raisins de la misère, une enquête sur la face cachée des châteaux bordelais, Ed du Rouergue 2018